Il s’éveilla en prenant conscience des tenants et aboutissants de la
grande décision qu’il avait prise la veille au soir alors que, allongé
dans son lit, il cherchait le sommeil. Cette décision, il fallait qu’il
s’y tienne sans faiblir s’il voulait un jour recommencer à se sentir un
homme à part entière. Il fallait qu’il soit ferme et intransigeant et
exige de sa femme qu’elle consente au divorce, ou alors tout serait
perdu et il n’en aurait plus jamais le courage. Cette issue était
inévitable, depuis le début même de leur mariage, six ans auparavant ;
ce point crucial n’avait été que longuement retardé. Il en prenait
maintenant conscience. Être le mari d’une femme plus forte que lui, plus
forte sur tous les plans, n’était pas simplement une chose intolérable ;
peu à peu cela avait aggravé sa faiblesse, sa
faiblesse sans espoir. Sa femme non seulement pouvait le surpasser en
tout, mais elle le surpassait de fait. Véritable athlète, elle le
battait sans difficulté au golf, au tennis... Elle montait mieux à
cheval, elle marchait plus vite que lui ; elle conduisait leur auto
mieux qu’il ne saurait jamais le faire. Imbattable dans tous les
domaines, elle l’écrasait au bridge et aux échecs, et même au poker
auquel elle jouait comme un homme. Plus grave encore ; elle avait peu à
peu pris en main son entreprise et la gestion de ses fonds ; non
seulement elle était capable de gagner plus d’argent qu’il n’avait
jamais su ou même rêvé d’en gagner, mais elle y arrivait. Il n’y avait
pas eu une seule échappatoire pour son « moi » – pour le peu qui en
restait -, malmené et mis en déroute au long des années de ce malheureux
mariage.
Il n’y en avait pas eu jusqu’à maintenant, jusqu’à
l’arrivée de Laura. Douce et adorable petite Laura, leur invitée qui
vivait chez eux depuis une huitaine de jours et qui était tout ce que
n’était pas sa femme, fragile et légère, adorablement éperdue et
féminine. Il en était follement amoureux et, il s’en rendait bien
compte, elle était son salut. Marié avec Laura, il pourrait redevenir un
homme. Et elle accepterait de l’épouser, il en était sûr ; il fallait
qu’il l’épouse, car elle était son seul espoir. Cette fois, il fallait
qu’il gagne... quoi que sa femme pût dire ou faire.
Il prit sa
douche et s’habilla sans perdre de temps, travaillé par la discussion
tendue à venir, mais impatient d’en avoir fini avant que se soit émoussé
son courage. Il descendit et trouva sa femme seule à table, devant le
petit déjeuner.
Elle leva la tête quand il entra. « Bonjour, mon
chéri, dit-elle, Laura a déjà pris son petit-déjeuner et elle est sortie
faire un tour. C’est moi qui lui ai demandé de sortir, pour pouvoir te
parler ne tête à tête. »
Parfait ! se dit-il en s’asseyant en face
de sa femme. Sa femme avait donc vu et compris ce qui se passait et
elle allait lui rendre les choses plus faciles en amenant elle-même la
conversation sur le sujet brûlant.
« Tu comprends, William,
dit-elle, il faut que nous divorcions. Je sais que ce sera un coup très
dur pour toi... mais Laura et moi nous nous aimons, et nous allons
partir ensemble. »







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