Il se réveilla. Brutalement. Il était d’un seul coup parfaitement
éveillé, et il se demandait pourquoi il s’était laissé aller à
s’assoupir alors qu’il n’en avait absolument pas eu l’intention. Il
regarda son bracelet-montre lumineux, parfaitement visible dans
l’obscurité totale, et vit qu’il était à peine plus de vingt-trois
heures. Cela le soulagea ; il n’avait donc fait qu’une très courte
sieste. Il s’était couché sur ce stupide canapé moins d’une demi-heure
auparavant. Il était de toute façon trop tôt pour que sa femme vienne si
elle en avait l’intention : il lui fallait attendre que son emmerdeuse
de sœur soit endormie, et bien endormie.
C’était une situation
ridicule. Ils n’étaient mariés que depuis trois semaines, ils rentraient
de leur lune de miel et c’était la première fois qu’il se trouvait au
lit seul, depuis leur mariage. Et tout ça à cause de Deborah, la sœur de
Betty, qui les avait invités à dormir chez elle alors qu’ils étaient
juste passés lui dire bonjour. Quatre heures de route de plus, et ils
auraient été chez eux, mais Deborah avait insisté, encore et encore,
finissant par l’emporter. Comme il était vraiment fatigué, il s’était
dit qu’après tout une nuit d’abstinence ne lui ferait pas de mal ; il y
avait du vrai dans ce que disait Deborah, il valait mieux repartir le
lendemain matin, frais et dispos.
L’appartement de Deborah ne
comprenait, évidemment, qu’une seule chambre à coucher et il avait su
d’avance, en acceptant son invitation, qu’il ne pourrait pas accepter
l’offre qu’elle faisait de dormir sur le canapé en leur laissant la
chambre à Betty et à lui. Il y a des limites à ne pas dépasser, même
chez sa sœur célibataire, adorable et tendrement aimée. Mais il était
sûr, ou presque sûr, que Betty attendrait le moment où Deborah dormirait
à poings fermés pour venir lui faire un petit câlin – elle serait sans
doute trop timide pour lui offrir plus, de crainte de faire du bruit et
de réveiller Deborah. Mais elle viendrait sûrement lui souhaiter bonne
nuit mieux qu’ils ne s’étaient permis de le faire sous les yeux de sa
sœur.
Elle viendrait sûrement, ne serait-ce que pour lui donner un
vrai baiser. Et si elle acceptait d’aller plus loin, il ne demanderait
pas mieux. Il avait donc décidé de ne pas s’endormir tout de suite, et
de rester éveillé à l’attendre pendant une heure au moins.
Elle
viendrait sûrement. Oui, la porte s’ouvrait doucement dans l’obscurité
et se refermait, avec un bruit de loquet à peine perceptible, il y eut
le doux glissement de la chemise de nuit ou de la robe de chambre, du
moins quelque chose de léger qui tombait, puis elle fut sous
la
couverture, à côté de lui, serrant son corps contre le sien. Il n’y eut
guère de conversation ; il lui dit « Chérie ! »
et elle ne répondit que par un « Chut » légèrement murmuré. Mais à quoi
bon s’en dire davantage ?
Ils ne se dirent rien, pendant les
minutes si longues et si courtes qui s’écoulèrent jusqu’à ce que la
porte s’ouvrît à nouveau, inondant cette fois la pièce d’une lumière
éblouissante en provenance de la chambre et découpant, dans l’embrasure
de la porte, l’horreur blanche de la silhouette de sa femme Betty,
droite comme un I, et qui commençait à hurler.
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